Les histoires

Fermier Marathonien

« J’ai toujours rêvé d’avoir une ferme dans les montagnes. J’ai eu de la chance », dit Gérard Berrux de Chamonix-Mont-Blanc

Déménager dans une grange à la campagne est le rêve de nombreux citadins. Toutefois, certains rechignent à l’idée de gérer une exploitation de blé dans les Alpes françaises. Cela exige beaucoup d’engagement, de longues heures de travail et un peu de chance pour semer des graines, au propre comme au figuré. Mais ce qui vaut malgré tout la peine, c’est d’en recueillir les fruits, qui sont d’autant plus satisfaisants qu’on s’est investi.

Parvenu à sa nouvelle ferme aux Houches, tout près de Chamonix-Mont-Blanc en voiture et nichée entre de belles montagnes et une cascade, on trouve M. Berrux en train de cuire du pain. Il est resté éveillé toute la nuit à pétrir une montagne de pâte de 60 kg. En observant cet homme de 42 ans s’affairer dans son T-shirt de l’ Ultra-Trail du Mont-Blanc (le célèbre marathon de 166 km avec un dénivelé de 9 600 m), on comprend rapidement qu’il s’agit d’un passionné.
En quelques gestes habiles, il forme des baguettes les unes après les autres et les place dans des bannetons en osier, une à la fois, pour les laisser reposer un peu avant de les passer au four. Sur son plus grand marché à Sallanches, la commune voisine, il vend généralement sa charge complète de 80 kg de pain en moins de trois heures. 
On comprend donc lorsqu’il dit « Je ne suis pas superman, j’ai besoin de repos », toutefois, il est difficile de s’imaginer un homme tel que Gérard Berrux se prélasser sur son canapé. Même s’il en a secrètement l’envie, il a bien trop d’idées à faire aboutir avant de s’offrir ce luxe : il souhaite réparer la grange pour élever son propre bétail et cultiver encore davantage de blé ancien.

Marcher sur un bon sol

À travers la grande fenêtre qui relie la boulangerie à la cuisine de sa maison, on aperçoit son fils de 3 ans, Alexandre Édouard, qui lui fait coucou. Lorsque le petit bonhomme à la tignasse bouclée déboule dans la boulangerie réclamant son pain dinosaure spécial, M. Berrux coupe un peu plus de pâte pour former des ailes et place l’animal préhistorique bientôt comestible sur un plateau à part.
« Chamonix est particulier », explique-t-il concernant les raisons qui l’ont décidé à s’installer dans la vallée avec sa femme brésilienne, danseuse et professeur de Capoeira. « Comme il n’y a pas beaucoup d’agriculture ici, c’est relativement facile d’en vivre du point de vue de la concurrence. » Il a grandi dans l’exploitation laitière de ses parents près d’Annecy et a toujours rêvé de faire quelque chose d’équivalent dans les montagnes.

Lorsque M. Berrux est arrivé à Chamonix-Mont-Blanc il y a plus de 10 ans comme ouvrier saisonnier, son but était de gagner de l’argent pour voyager. Il a longtemps vendu du fromage et de la charcuterie dans un magasin, puis, avec un peu de chance et grâce à un talent certain pour les relations publiques et les affaires, il a ouvert un bar à vins, où il vendait aussi son propre pain fait maison. À cette époque, il venait de commencer à expérimenter la culture du blé ancien qui contient moins de gluten et remonte au temps des Égyptiens. « Au siècle dernier, nous produisions en France 400 à 500 types de blé différents, et la plupart étaient mieux assimilables par l’organisme. »
Avec les encouragements de la commune et le soutien de nombreuses entreprises locales, il a ensuite démarré comme entrepreneur-fermier-boulanger à temps complet. Essayant de gérer son affaire de manière efficace, le jeune entrepreneur avait pour projet initial de ne fournir que les grossistes et les restaurateurs. Ironie du sort, sa tentative pour réduire ses heures l’a obligé à travailler bien plus qu’il ne l’avait envisagé.

Penser à la vie après le travail

Ses longues heures de labeur ont poussé M. Berrux à réfléchir à un équilibre travail-vie privée plus sain.
« Vous savez, maintenant, j’essaie de travailler autant qu’il est nécessaire afin d’avoir du temps pour sortir, apprécier la nature et aller à la cueillette des champignons avec ma famille », dit-il. Il a diminué ses heures de marché, en en maintenant une par semaine dans sa propre ferme avec quelques autres producteurs locaux. Bien que ce genre de travail requière votre engagement total, il a le sentiment d’avoir trouvé sa véritable vocation. « Ce n’est pas facile, mais c’est tellement gratifiant... et Chamonix, avec ses habitants ouverts d’esprit, est un endroit formidable pour y parvenir. »

À l’arrière de la boulangerie, Gérard Berrux nous montre le moulin à meules de pierre composé de deux lourds blocs ronds en granite. C’est la vitesse à laquelle le grain est moulu, explique-t-il, qui fait la qualité de la farine. Si cela se produit à une vitesse lente comme ici, le grain peut chauffer progressivement, ce qui est important pour préserver le goût. Si ça va trop vite, il y a oxydation et le grain perd en goût.
Pour l’année qui vient, Gérard Berrux veut commencer à récolter à l’ancienne avec une machine des années 1940. Bien que cela donne l’impression d’une charge supplémentaire de travail, il dit : « L’an prochain, j’arrêterai de travailler le dimanche. » Paroles d’un honnête fermier...

Texte: Sandra Pfeifer
Photos: David Payr // friendship.is

13 avril 2016

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