Simple Mais Pas Ordinaire
Convivialité est le mot le plus beau dans le vocabulaire d’un chef, selon Mickey Bourdillat du Matafan.
Tandis que la plupart de nous allons au supermarché le plus proche dès que le réfrigérateur se vide, le chef Mickey Bourdillat de Chamonix-Mont-Blanc savoure l’idée du « moins, c’est plus. » Sa ligne de conduite : ne jamais mettre plus de trois ingrédients dans un plat. Voici une tentative de retrouver ses origines culinaires.
Redescendre d’une visite de la majestueuse Aiguille du Midi à 3 842 mètres en moins de 30 minutes vous fait légèrement tourner la tête mais vous donne surtout un sentiment d’humilité certaine face à la grandeur de la nature. Encore subjugués par l’immensité du granite et de la neige régnant sur l’espace et le temps, nous entrons dans Le Bistrot, à deux pas du téléphérique. C’est l’heure du déjeuner et le lieu est en effervescence, certains clients arrivant dans leur tenue de ski, ce qui rend l’atmosphère très décontractée, tout ce que le chef aime !
Suivre l’héritage culinaire de Chamonix
En résumé, M. Bourdillat décrit sa philosophie comme suit : de bons produits saisonniers préparés de manière simple. Il utilise souvent des saucisses, de la polenta, des fruits et légumes de saison et les interprète en une jolie assiette de perfection. Difficile de croire que quelque chose de si simple puisse être si délicieux. À la fin de notre succulent repas, le chef sort de la cuisine, nous souriant de ses grands yeux bleus. « Tout est déjà dans l’assiette, il n’y a rien à ajouter. »
Et que dire de son idée de proposer un menu le plus abordable qu’un chef étoilé Michelin ait jamais proposé à seulement 20 euros? « Vous savez, mes parents étaient tous deux des gens simples qui travaillaient dans l’artisanat, mais nous mangions toujours très bien. Ma mère était une cuisinière passionnée. » Il explique que bien manger devrait être ni une question de finances, ni une question de statut. Il prêche les petits plaisirs culinaires haut de gamme que tout le monde peut s’offrir et qui ont fait de son restaurant un lieu de rendez-vous tant pour les habitants que pour les visiteurs.
Privilégier l’utilisation de produits saisonniers pourrait compliquer la composition d’un menu, mais M. Bourdillat aime relever les bons défis. Il mentionne la Vallée d’Aoste toute proche comme source d’inspiration où la polenta, typique, sert de base pratiquement à tous les repas. Bien avant que les montagnes de Chamonix ne deviennent un aimant à sportifs et touristes captivés par la beauté de la Mer de Glace - le glacier qui s’étalait presque jusqu’aux bords de la vallée - les ressources alimentaires étaient peu abondantes pour les agriculteurs locaux. Les fruits et légumes récoltés en été étaient conservés ou séchés pour perdurer tout au long des hivers rigoureux et M. Bourdillat aime à le prendre en compte dans son style de cuisine. La farine provient d’un producteur de blé des Houches ; les saucisses, la polenta et le risotto de la Vallée d’Aoste, juste de l’autre côté du tunnel. Ainsi, collaborer avec les producteurs locaux est une de ses priorités.
Espuma de Polenta diots á la Mondeuse
« Je fais de la cuisine, pas de chichis »
Il est très peu probable de trouver des fraises ou des haricots verts dans ses plats quand ce n’est pas la saison, et son approche peu orthodoxe de la cuisine moderne met du temps à être appréciée par ses clients cosmopolites, habitués à manger toutes sortes d’aliments toute l’année. « Je reste fidèle à mes principes » dit-il. Son menu d’hiver par exemple comprend de délicieuses créations faites à partir d’artichauts, de poires, de pommes et de poissons du lac Léman.
Il y a une règle dans sa cuisine à laquelle il se tient rigoureusement : vous ne pouvez pas faire de la bonne cuisine avec de mauvais produits. Pour lui, le plus important, c’est d’avoir un état d’esprit positif lorsqu’il cuisine. « De nos jours, il faut cuisiner avec tout son cœur. Si vous n’êtes pas généreux vous ne serez pas en mesure de faire de la bonne cuisine. » Voilà pourquoi convivialité est le mot le plus beau dans le vocabulaire d’un chef. « Si un boucher vient me dire à la fin de son repas n’avoir jamais mangé sa viande aussi bien préparée, c’est le plus grand compliment qu’on puisse me faire », explique M. Bourdillat. À l’écouter parler de son enfance à faire du vélo dans les champs et à déguster les premières cerises de l’été, on comprend d’où vient sa préférence pour la pureté et la simplicité.
Apprendre la gratitude
M. Bourdillat regarde sa montre : « Il est temps de commencer à préparer le dîner. » Avant de disparaître dans la cuisine, il nous demande si nous avons vu l’incroyable coucher de soleil de la veille. Heureusement, nous avons nous aussi aperçu ce ciel d’un pourpre profond magique. « Vous savez, je me rends de Servoz à Chamonix tous les jours et je me surprends souvent en train de penser que nous ne vivons pas dans un monde réel ici ». Être en mesure d’apprécier la beauté d’un lieu comme celui-ci, même après 28 ans, en dit long sur sa sérénité. Il voyage souvent accompagné de son jeune fils, plus pour l’exercer à éprouver de la gratitude envers ce lieu qu’il appelle sa maison. « Dans les montagnes, vous pouvez rencontrer les personnes les plus incroyables qui font les choses les plus surprenantes », dit-il. Toutefois, elles gardent toujours les pieds sur terre.
Texte: Sandra Pfeifer
Photos: David Payr // friendship.is
13 avril 2016