Les histoires

Le Fil Rouge D’Emma Wibault

« Mon design doit raconter une histoire qui constitue le fil rouge du projet »

Les idées qui flottent dans l’air, invisibles, à la recherche de quelqu’un qui les voit, les attrape et leur insuffle la vie : telle est plus ou moins l’interprétation du processus de création que nous donne Elizabeth Gilbert, auteure US-américaine célèbre pour son roman « Eat, Pray, Love », dans son livre intitulé « Big Magic ». Selon le philosophe allemand von Helmholtz, ce processus se déroulerait en trois étapes : l’étape de préparation durant laquelle le sujet à traiter est contemplé, regardé et étudié à fond, suivie par le « sommeil du temple » durant lequel on le met de côté et s’occupe d’autre chose. Ce stade serait rapidement écarté par la phase trois : la révélation. Pour l’exprimer en ses propres mots : « Le moment quand les idées sereines te viennent, sans peine et inattendues, telle une inspiration. » Parfois en effet, elles nous viennent en dormant : l’écrivain autrichien Thomas Glavinic, par exemple, raconte d’avoir rêvé l’histoire de son roman « Der Kameramörder »(« L’assassin de la caméra »). Concept également préconisé par Emma Wibault, architecte d’intérieur à Chamonix : « Les idées me viennent la nuit, quand je rêve. Lorsque je me réveille le lendemain matin, elles me frappent comme la foudre : tout d’un coup, je sais quelle technique je vais utiliser ou quelles couleurs il faut prendre. » 

Qu’elle allait un jour dessiner l’intérieur de chalets et d’hôtels, était clair dès le départ: « Des fois, j’ai l’impression que je m’exprime mieux en dessinant qu’en parlant. Quand j’étais petite, j’arrachais les pages de mon catalogue Ikea une par une en me disant : tiens, ma cuisine, tiens, mon salon, et tiens, ma chambre à coucher. J’ai toujours aimé dessiner et imaginer des choses. Devenir architecte d’intérieur a été pour moi un choix tout à fait naturel, » nous dit Emma Wibault. Elle vit au rez-de-chaussée d’un chalet à Chamonix, en-dessous du musée qui expose les œuvres de son grand-père, le peintre Marcel Wibault. Son père Lionel, qui accompagne les touristes sur les cimes autour, s’essaie également à la peinture, tout comme elle-même quand elle n’est pas dans ces projets jusqu’au cou. 

Et il y en avait pas mal, ces derniers temps, tel que l’hôtel « Le prieuré » à Chamonix que l’architecte d’intérieur a redessiné au nom de l’agence pour laquelle elle travaille. Du reste, Emma s’occupe de la vie intérieure de chalets dédiés à l’accueil de familles, ou de projets à l’étranger, comme par exemple d’une maison individuelle à Notting Hill, quartier noble londonien, et dont la façade victorienne ne trahit en rien les motifs à la jungle qui ornent son intérieur.

Histoire en rouge – l’hôtel « Le prieuré »

« Mon design doit raconter une histoire qui constitue le fil rouge du projet », raconte Emma Wibault. Dans le cas du « Prieuré », elle a articulé son concept autour des guides de montagne : « Nous avons constaté que la plupart des visiteurs restaient deux ou trois jours. Ils viennent pour faire un tour en montagne, ce sont donc les guides qui attirent les gens. » Le hall d’entrée abrite un petit « walk of fame » où les guides de la région ont laissé leur empreinte de main. Le rouge est omniprésent. Un fait guère surprenant puisque le rouge est une couleur qu’on associe à la montagne, notamment si l'on remonte dans le passé et que l'on fait référence aux lacets des chaussures de guide. Ou bien à leurs cordes que l’on voit dans la partie arrière du restaurant : une corde longue relie les quatre murs, revisitant en zig-zag les cimes environnantes. En attendant son poulet rôti, on apprend quelque chose sur la région. « Je voulais à tout prix utiliser une corde rouge », explique Emma Wibault, « mais il était impossible d’en trouver. Puis, j’ai demandé à mon père et il en a sorti une qui correspondait exactement à mes exigences. Elle avait même la longueur juste : il n’en restait que quelques centimètres à la fin. »

Mi-Suédoise mi-Chamoniarde

Pour ses projets, Emma Wibault s’appuie sur les ressources de la région : « J’essaie toujours de prendre les bois de la vallée : sapin, chêne ou frêne, selon ce que le projet demande. » Elle préfère les matériaux durables qui vieillissent en beauté, tout en misant sur les solutions à la fois fonctionnelles et esthétiques. Son style reflète ses racines : Emma est mi-Suédoise mi-Chamoniarde. « Dans mon travail, les deux se combinent à merveille et le résultat final reflètera toujours les souhaits du client. L’important pour moi, c’est la satisfaction du client et le fait de créer un projet unique : je ne ferais jamais deux fois la même chose », explique l’architecte d’intérieur qui s’efforce toujours de trouver la meilleure solution pour ses clients : « J’essaie de me faire une idée de leurs préférences pour aller dans une certaine direction. Cette orientation est comme le tronc d’un arbre qui se ramifie – pour donner un ensemble à la fin. » Ce qu’elle estime le plus dans sa profession, c’est la diversité : « Le boulot d’un architecte d’intérieur ne se limite pas à dessiner des projets, trouver des idées et choisir la palette juste. Il s’agit aussi de faire un budget, de gérer des listes en Excel et de visiter les chantiers pour en suivre la réalisation » nous dit Emma Wibault en énumérant les aspects plus pratiques de son métier. Ce qu’elle apprécie également, c’est le contact avec ses clients qui va bien bien au-delà du choix de la dernière tringle à rideaux : « Ils m’envoient des cartes postales ou des photos et des fois ils passent pour boire une tasse de thé avec moi. » Le travail sur l’espace privé semble donc rapprocher clients et architecte.

Emma Wibault retrouve son inspiration n’importe où et à n’importe quel moment – que ce soit sur la piste de ski ou dans sa vie de tous les jours. Bien qu’elle ait des objectifs dans la vie, elle ne veut pas trop se concentrer sur l’avenir : « Chaque journée est remplie de surprises. » Peut-être le meilleur point de départ pour attraper de nouvelles idées ? Du reste, il n’y aura guère d’ambiance plus propice que l’air frais de Chamonix pour les idées qui attendent qu’on les attrape.

www.emmawibault.com

Texte: Martha Miklin // friendship.is
Photos: Solene Renault; Hotel Le Prieuré; Alexander James

17 février 2017

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