Fou Avec Intelligence
Ne pas avoir peur de sauter du haut d’une falaise ne veut pas dire que vous n’aurez pas peur de construire votre propre maison, dit le sauteur en wingsuit Roch Malnuit.
Le wingsuit, ou vol en combinaison ailée, est l’un des sports extrêmes les plus dangereux du monde. Il n’existe aucune école officielle dispensant des cours, seule la détermination pousse ces accros de l’adrénaline vêtus de couleurs vives au bord de la falaise. Roch Malnuit, de Chamonix, est l’un d’entre eux.
Ses vidéos sur youtube vous font monter l’adrénaline sur un rythme techno lorsqu’il se laisse nonchalamment tomber du haut de l’Aiguille du Midi et qu’il atteint des vitesses folles de 180 km/h en moins de 120 secondes. Ce comportement de casse-cou, il ne l’a appris de nul autre que de son père, un pro du parachutisme et tout premier adepte du base jump en France. Mais l’apparente folie exhibée à l’écran ne reflète pas toujours le véritable psychisme de la personne.
Dans sa belle résidence à Chamonix où il a déménagé de Lyon à son adolescence pour suivre sa passion pour la montagne, le guide de montagne aux multiples talents, snowboarder et père de deux filles, explique pourquoi il est plus difficile de prendre des risques intelligemment et pourquoi construire sa propre maison a exigé davantage de cran que de sauter du haut d’une falaise.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu de votre père ?
Le meilleur conseil qu’il m’ait prodigué, c’est de calculer le risque parce que la vie est trop courte de toute façon.
On peut toujours dire non et revenir le lendemain. Je ne suis pas compétitif dans ce sens, mais j’adore faire ce que je fais parce que j’aime ça.
J’ai eu l’impression qu’il m’avait dit cela pour que je puisse un jour le transmettre à mes enfants.
Ce moment de peur, comment le gérez-vous ?
C’est bon d’avoir peur. C’est l’instinct de conservation. Ne pas avoir peur d’une chose est dangereux. Si je cessais d’avoir peur, je m’arrêterais de sauter parce que cela signifierait que j’ai trop confiance en moi. Même le niveau de peur n’est pas le même chaque fois que je saute. Quand je suis debout au bord de la falaise, mon corps est en état d’excitation. Je vérifie une dernière fois mentalement si tout est bien en place, que la météo est bonne, que je me sens bien... Si j’obtiens un oui, alors je saute. Si c’est un non, je redescends.
Cela arrive t-il ?
Oui. Mais j’apprécie aussi ces moments où l’on est bien préparé pour le saut, mais votre cœur vous dit non, parce que vous avez trop peur. Cela veut dire que la montagne ne veut pas de vous.
Alors je m’assois un instant et je regarde mes amis sauter. Avoir simplement la sensation d’être fort et de dire non compte beaucoup.
Vous avez sans doute cette sensation pour une bonne raison ?
Oui, c’est parce que je suis en harmonie avec mon corps, mon esprit et ma famille.
Donc, vous avez une sorte de case mentale à cocher avant de sauter ?
Absolument. D’abord, je vérifie l’équipement et le parachute. Mon cœur bat à un rythme super élevé, mais j’essaie de rester calme et détendu, j’inspire profondément et je ne pense qu’à une seule chose à la fois.
Pendant le vol, pensez-vous en fait ? Avez-vous des choses qui surgissent dans votre tête de façon aléatoire comme "j’ai oublié mes clés dans la voiture" ?
Il y a différents types de sauts. Pour certains, on atteint nécessairement la performance en réussissant à traverser les montagnes ou un glacier. Vous êtes concentré, parfois l’adrénaline réduit un peu votre vision. Vous ne respirez plus. D’autres sauts sont faciles où vous pouvez crier à votre pote qui saute avec vous. Mais je ne peux pas penser à d’autres choses. Le moment du saut exige une grande concentration. Parfois, vous devez même vous forcer un peu. Le corps se trouve dans une situation dangereuse et se concentre sur la façon de s’en sortir. Voilà pourquoi le corps produit de l’adrénaline. C’est une drogue naturelle.
Cela vous aide-t-il à mieux vous concentrer dans les tâches de la vie quotidienne ?
Je pense que cela vient avec le sport en général. Les athlètes apprennent à donner le meilleur d’eux-mêmes. Je veux dire, regardez-moi, j’ai construit ma maison ici.
Cela a-t-il été un défi pour vous ?
Eh bien, au début je paniquais un peu, parce que je devais faire quelque chose que je n’avais jamais fait seul avant. Je me demandais comment on pouvait y arriver avec deux enfants en bas âge... Mais ensuite, si vous vous y prenez étape par étape en veillant à bien faire les choses, vous saurez gérer. Vous devez simplement vous fixer un objectif.
Cela exige aussi de se faire confiance. Comment savez-vous quand vous faire confiance ?
Ça fait partie de la progression. Comme dans la vie quand vous avancez avec un partenaire, en recherchant un équilibre entre deux personnes différentes qui vivent ensemble. Ce qui n’est évidemment pas une tâche facile. Et dans le sport, il s’agit de trouver le bon équilibre entre le risque et ce qui vous rend heureux, parce qu’il n’est pas nécessaire de prendre tant de risque que ça pour trouver un peu de bonheur.
Vous voulez vous prouver que vous êtes capable de faire quelque chose, même si cela vous terrorise au début.
Faites-vous quelque chose pour équilibrer votre côté extrémiste ?
La famille vous apaise et vous apprend la patience. J’adore skier avec mes enfants ou passer tout simplement une journée à la maison. Je n’ai pas besoin de précipitation dans ma vie. Je dirais que les gens fous ne font pas long feu dans les sports extrêmes. Tout le monde peut le faire. Mais faire une chose folle avec intelligence est beaucoup plus difficile. Vous savez, parfois avant de sauter, j’appelle mes filles et je leur dis de sortir pour venir me chercher dans le jardin quand j’atterrirai.
Que ferez-vous quand vos filles voudront sauter un jour ?
Je le leur apprendrai étape par étape. Je commencerai d’abord par quelque chose de facile comme le ski. Possible qu’elles se rendent compte qu’elles n’aiment même pas le sport. Mais dans le cas contraire, je débuterai par le parachutisme. Juste pour leur donner un avant-goût. Puis je les laisserais décider. Mais je ne les pousserai certainement pas.
En vivant ici à Chamonix, quel est votre lien avec les montagnes ?
Quand je suis là-haut, j’oublie tout. Ces moments de calme sont précieux.
Ça fait du bien. Mais vous devez aussi apprendre à interpréter la montagne, parce que, après tout, c’est aussi un petit jeu.
Texte: Sandra Pfeifer
Photos: David Payr // friendship.is
13 avril 2016