Les histoires

Sur Les Traces Des Pèlerins

A première vue, pèlerins et touristes n’ont que peu de choses en commun. L’ex- moniteur de ski Edouard Apertet sait pourquoi les uns ont quasiment ouvert la voie aux autres à Megève.

Forte de 3700 habitants, la commune de Megève semble être faite pour le tourisme : située sur un col entouré de deux chaînes de montagnes, elle est accessible en une heure de route aussi bien depuis l’Italie que depuis la Suisse. En hiver, les pentes en-dessous des cimes environnantes offrent des conditions parfaites pour les amateurs de rando à ski et de ski sur piste. En été, le climat agréable et le paysage spectaculaire attirent autant les randonneurs que les fans de VTT.

C’est pourquoi la carrière d’Edouard Apertet a commencé comme beaucoup d’autres à Megève, dans le tourisme, en tant que moniteur de ski et accompagnateur de montagne. Aujourd’hui, Edouard est responsable de la gestion des événements se déroulant dans la commune. On le rencontre au bureau de tourisme du centre, où il nous salue avec une poignée de main ferme et un grand sourire : « Salut, vous venez de Best of the Alps ? » On voudrait parler d’un livre de sa plume et qui traite d’une curiosité guère remarquée aujourd’hui mais qui jadis attirait des milliers de visiteurs.

Il s’agit du Calvaire de Megève. « Les calvaires sont des lieux de mémoire religieuse qui représentent les Saintes Ecritures sous forme d’un sentier de pèlerinage » nous explique Edouard. Souvent, ils se trouvent sur une petite colline pour rappeler le Mont Golgotha sur lequel Jésus-Christ aurait été crucifié.

Situé à quelques minutes à pied à l’est du centre, sur un petit contrefort du Mont d’Arbois, le calvaire abrite 15 chapelles  et oratoires dont les images et statues racontent les dernières journées de la vie de Jésus. De plus, il y en a deux autres (á enlever) consacrées à la Sainte Vierge. Les chapelles ont été érigées au 19e siècle sous l’égide d’Ambroise Martin, à l’époque curé de Megève. Durant la révolution française, on avait chassé le clergé des villages et détruit de nombreuses chapelles et églises. Mais la foi a survécu à l’intérieur des maisons de la commune. « Je pense qu’Ambroise Martin voulait rendre aux gens un lieu commun pour vivre leur foi comme avant » explique Edouard.

Pourtant, plutôt que de construire une simple maison de prière, il voulait créer un lieu de pèlerinage d’après le modèle italien pour attirer des fidèles des quatre coins de France. Entre 1840 et 1863, le prêtre avait donc invité des architectes, sculpteurs et peintres italiens pour créer un total de 15 chapelles totalement différentes et de nombreuses sculptures parfois grandeur nature qui relatent la vie de Jésus dans tous ses détails.

Les masses de visiteurs qui viendront alors pour visiter le nouveau lieu de pèlerinage seront synonyme d’un grand changement pour la vie des habitants de Megève. Jusque-là, l’agriculture est quasiment la source unique de revenu de la commune qui est fortement marquée par les saisons. En hiver, beaucoup de Megevans quittent le village pour gagner de l’argent en ville, à Lyon voire à Paris. « Un bon hiver à l’époque, c’était un hiver sans trop de neige » nous dit Edouard. Mais tout a changé avec les pèlerins : « Les visiteurs avaient besoin d’être logés et nourris, les fermiers ont donc ouvert leurs granges et vendu leur fromage et leur lait – et ils ont gagné de l’argent avec. Un jour, ils ont compris qu’il ne fallait peut-être plus partir en hiver ! »

En 1866, le mouvement du pèlerinage battait son plein. La seule journée de l’Assomption aurait vu 6 000 personnes monter sur le calvaire : « A mon avis, c’était le début du tourisme de masse à Megève » nous dit Edouard. Le curé Ambroise Martin ne l’a certainement pas vécu, il est mort en 1863, peu de temps après avoir terminé l’œuvre de sa vie. Mais Edouard Apertet est convaincu : « Son legs a durablement changé l’attitude des habitants envers le tourisme. » C’est une des raisons pour lesquelles Megève s’est transformée en station de sports d’hiver de première génération et de haut standing au 20e siècle sous l’impulsion de la famille De Rothschild.

Le calvaire est resté un lieu de retraite pour beaucoup : il y en a qui viennent pour faire du yoga en plein air alors que d’autres ne font que simplement jouir de la vue et du calme sur la colline. En hiver, les pentes entre les chapelles se transforment en pistes de luge. Une fois par semaine, Edouard Apertet guide les touristes intéressés vers les chapelles classées monuments historiques depuis 1988. Bien-sûr, on ne vient guère à Megève juste pour elles. Les visiteurs viennent pour la nature, le sport, les montagnes. Ils sont d’autant plus surpris d’apprendre que ce lieu de pèlerinage a joué un très grand rôle pour le développement du tourisme. Et c’est bien grâce à Edouard Apertet qu’on le sait…

Texte: David Schwarzenbacher // friendship.is
Photos: Florian Lechner // friendship.is

4 novembre 2016

Lire les histoires