Chasser Entre Amis
La chasse à l’arc et la coutellerie peuvent vous apprendre beaucoup sur l’amitié. Jacques Brunet et Arthur Forlin, basés à Megève, ne le savent que trop bien.
« Même si nous ne parlons pas beaucoup, nous pouvons anticiper ce que l’autre va faire », explique Arthur Forlin. Il est coutelier expert tandis que son ami Jacques Brunet est un chasseur à l’arc émérite. Les deux hommes partagent une passion pour l’artisanat et la nature. Passer du temps ensemble lors de leurs innombrables excursions de chasse dans les montagnes de Megève a soudé leur amitié vieille de 35 ans.
« Chaque homme et chaque femme qui vit en accord avec la nature sait utiliser un couteau. Ce fut l’un des premiers outils de l’homme et c’est toujours notre préféré », dit le grand et élancé Monsieur Brunet, cet ancien professeur d’anglais au langage châtié. M. Brunet nous mène dans l’atelier d’Arthur Forlin où les deux hommes passent des heures à travailler dur sur leurs couteaux qu’ils produisent uniquement pour eux-mêmes et pour des amis. En observant leurs couteaux finement ouvragés avec des manches en bois ou en bois de chevreuil et des lames en acier recyclé, on se rend vite compte qu’ils ont une connaissance approfondie de l’importance de l’équilibre dans la nature. L’équilibre est aussi un principe subtil qui semble gouverner leur amitié.
À regarder MM. Forlin et Brunet interagir avec un respect mutuel pour les compétences de l’autre, on peut percevoir le lien fort que les deux hommes ont développé. C’est leur passion pour la chasse à l’arc qui les a réunis. Toutefois, il a d’abord fallu persuader M. Forlin que la philosophie de la chasse représentait davantage que de simplement tuer un animal, qu’il s’agissait aussi d’acquérir une connaissance de son environnement immédiat.
« Nous comptons l’un sur l’autre quand nous sommes dehors ensemble dans la nature », dit M. Brunet. En les imaginant absorbés tous les deux par le sérieux et le plaisir de la chasse, vous ne pourrez pas douter un moment de la solidité de l’équipe qu’ils forment : M. Brunet est un cérébral et M. Forlin suit son intuition.
Ressentir l’esprit des Néandertaliens
« Vous ne réussissez que quelques tirs chaque année », explique M. Brunet à propos du challenge de chasser avec un arc et des flèches. « Mais l’effort en vaut bien la chandelle quand on atteint la proie avec ses propres outils. » Ils partent chasser le chamois et le sanglier et tuent ceux qui auront peu de chances de surmonter l’hiver.
« Après une journée dehors, je me sens agréablement vide », dit M. Forlin. « C’est difficile à expliquer, je me sens en quelque sorte plus proche des Néandertaliens que des gens du village », rit-il. Le profond respect d’Arthur envers la nature vient du travail avec des matériaux durables dans la construction de chalets. Cela vaut aussi pour la coutellerie. « Vous honorez l’arbre que votre morceau de bois a autrefois été car il a aussi eu des moments difficiles dans sa croissance, vous savez, comme nous », explique-t-il.
Cultiver des rituels
« Nous fabriquons nos couteaux dans le style scandinave, avec une lame droite effilée. Plutôt rustique, parce que ça reste un outil », dit M.Brunet. « Mais si vous savez utiliser un couteau correctement, vous n’avez pas besoin d’une forme spéciale de lame. » Ce qui fait de leurs couteaux un outil fascinant, c’est leur méthode de production durable qui s’avère indéniable quand les deux hommes quittent leur petit atelier pour nous mener à une cabane dans le jardin : équipée d’une enclume et d’un marteau, c’est ici qu’ils transforment en lames parfaites des matériaux tels que des câbles usagés ou des ressorts de voiture.
En regardant les montagnes au-dehors baignées dans le soleil brillant de l’été, M. Brunet dit : « Beaucoup des superbes chalets que vous voyez à Megève ont été construits par Arthur. » Arthur Forlin, dont la famille a émigré d’Italie du Nord lorsqu’il était enfant, a travaillé comme charpentier pendant 30 ans, longtemps pour un architecte local reconnu du nom d’Alexandre Lamblin. Lui aussi avait pour philosophie de travailler en accord avec la nature, et c’est ce qui a influencé le jeune Forlin. « En prenant en compte les conditions météorologiques, comme la neige et la direction du vent, il savait comment construire la maison parfaite », explique M. Forlin. À Megève, il y a encore quelques réglementations qui imposent de couvrir certaines parties de la maison avec du bois ; et la pente de la toiture est réglementée. »
Les traditions perdurent à Megève. Comme certains rituels que les deux hommes ont entretenus au fil des ans en chassant ensemble : emporter un copieux repas fait de saucisses, de polenta, de fromage et d’une bouteille d’alcool, enterrée quelque part au bord du sentier. Mais ça, c’est un secret.
Texte: Sandra Pfeifer
Photos: David Payr // friendship.is
13 avril 2016