Les histoires

Et Hop, On Saute !

Glisser, sauter, grimper, descendre en rappel. Le canyoning est un jeu où l’on va au bout de soi. Les gorges de la Belle au Bois offrent le cadre parfait pour y arriver.

Le premier challenge nous attend avant que le tour ne commence. Il est 9 heures du matin, on attend sur un parking à l’ombre à quelque kilomètres de Megève dans les Alpes françaises en dansant une danse curieuse : de toutes mes forces, je saisis la combinaison en néoprène de ma collègue Martha de Best of the Alps en essayant de garder l’équilibre. La jambe droite du pantalon ne veut tout simplement pas glisser sur la cheville. A côté, notre photographe Florian semble un peu perdu : « Pourquoi il n’y a qu’une seule ouverture ? Elle va où l’autre jambe ? »

Franck Olivier – cheveux roux coupés courts, barbe de trois jours, jambes et bras nerveux – nous regarde d’un air amusé. Canadien de naissance, il organise des tours de canyoning depuis 13 ans, en plus de son activité de guide de montagne et de rando à ski. Il connaît les montagnes et les gorges du coin comme sa poche et a grimpé le Mont Blanc, qui se dresse à quelques kilomètres d’ici, cinq fois rien que cet été. Aujourd’hui, il va guider notre groupe de six à la Belle au Bois. Les gorges ne sont pas particulièrement longues, nous dit-il, mais très difficiles techniquement, avec quelques sauts pour s’amuser, et « nomen est omen », très très belles.

Tout va bien jusque-là. Une fois nos combinaisons de néoprène enfilées, les baudriers installés et les casques colorés sur la tête, on commence notre marche. Une dizaine de minutes à travers un bois vert foncé et on arrive à un petit torrent appelé Planay. Clair comme du cristal, le ruisseau reflète les rayons du soleil de fin d’été qui passent à travers les cimes. Beau jusqu’au kitsch, ou presque.

«  On va se familiariser un peu avec l’eau, pour commencer » dit Franck et pour nous démontrer comment, il se couche dans une mare qui lui arrive jusqu’aux hanches. N’ayant pas exactement fait bonne figure en nous habillant, Martha, Florian et moi faisons preuve de détermination et le suivons sans hésiter. En quelques secondes, l’eau aura pénétré dans la combinaison, d’abord jusqu’aux pieds, puis atteignant la poitrine. Elle est glaciale. Tu m’étonnes : les sommets où naissent les affluents du Planay se situent à 2 000 m d’altitude. Même les jours les plus chauds d’été, la température de l’eau ne monte guère au-dessus de 10 degrés, nous explique Franck.

Pour continuer avec quelques instructions de sécurité : en glissant et en sautant tenir les bras devant le corps, en descendant avec la corde, toujours s’accrocher avec les deux mousquetons. Et on y va. On avance lentement par le lit rocheux du torrent en tâtonnant, on atteint un bassin d’eau après l’autre en glissant, et on passe au-dessus de quelques troncs d’arbre délavés, calés dans les gorges toujours plus étroites.

Au bout de cinq minutes environ, on atteint le premier saut, trois mètres de hauteur, juste « pour s’échauffer ». Puisqu’il n’a pas plu ces derniers jours et que l’eau est peu profonde, Franck saute avant nous. Pouffant de rire il sort, pouce vers le haut, tout est okay. « Il faut sauter dans le tourbillon blanc en-dessous de la cascade, c’est assez profond là-bas. » Une fois tout le monde arrivé en bas, il se rend compte qu’il a perdu sa caméra go pro dans la mare, elle a dû se détacher de son casque en sautant. Une plongée rapide suffit et notre photographe Florian l’a récupérée – un point gagné pour l’équipe Best of the Alps !

Quelques pas en aval, on se trouve devant le prochain abîme. Sept mètres cette fois-ci, cela me paraît beaucoup plus. A ce point, il faut avouer que je ne suis pas tellement fan des hauteurs. Le tremplin de dix mètres à la piscine, je l’ai toujours évité. Mais passer pour un nul, impossible, et du reste, sept mètres ce n’est pas autant que ça ! De façon hésitante, je mets un pied sur la saillie et puis l’autre. Les murs rocheux nus encadrant le bassin bleu foncé au-dessous de moi semblent être tout proches. Le pouls augmente. « Il faut descendre tout droit » crie Florian pour m’encourager, sans trop d’effet il faut dire. Je me prépare pour sauter, une première fois, une deuxième fois, puis je saute. Une seconde plus tard, qui me semble éternellement longue, j’atterris dans le bassin glacial, soulagé.

Mais il ne reste pas trop de temps pour se reposer. On atteint le point le plus marquant, éponyme des gorges, la cascade de la Belle au Bois. D’une hauteur de 20 m, l’eau chute vers la profondeur. Hauteur trop grande pour sauter, on descendra avec la corde. Le dos tourné vers l’abîme, je m’appuie contre le mur et je m’élance en rappel, pendant que Franck me laisse descendre de manière professionnelle. Assourdissante, l’eau tombe sur mon casque, je n’entends guère les tuyaux que crie Franck d’en haut. C’était quoi déjà – jambes écartées ? Corps plus tendu ? N’importe, je m’en sors d’une manière ou d’une autre et après quelques moments d’angoisse, le dernier obstacle est surmonté.

Midi passé, nous voilà sur le chemin de retour. Je ressens un certain soulagement mais aussi ce genre de satisfaction qui s’étend après avoir maitrisé un challenge. « L’angoisse est un phénomène naturel, elle nous fait réfléchir. Qui ne ressent pas d’angoisse va se blesser plus facilement » nous dit Franck alors que le soleil de midi réchauffe mon corps refroidi. Un dernier challenge nous attend sur le parking : enlever une combinaison de néoprène mouillée s’avère presque aussi difficile que de la mettre quand elle est sèche.

Texte: David Schwarzenbacher // friendship.is
Photos: Florian Lechner // friendship.is

27 janvier 2020

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