Les histoires

L'Inhabituelle Histoire D'Un Hôtel À Plus De 2 000 M D'Altitude

Le Chetzeron était une gare téléphérique avant d'être réhabilité en hôtel-restaurant par Sami Lamaa.

De toute évidence, Sami Lamaa se déplace plutôt en courant qu'en marchant. La vitesse à laquelle il traverse le Chetzeron laisse penser aux fourmis dont les mouvements, loin d'être erratiques, suivent un système particulier. Le gérant de l'hôtel, ancienne gare d'arrivée, semble être soudé à cet endroit situé à 2 112 mètres d'altitude entre deux stations téléphériques, Cry d'Err et Merbé. Un lieu de force, comme il dit.

«Depuis la vallée, la gare est bien visible de partout. Lorsqu’on a décidé de la fermer, j’étais souvent en bas à regarder en haut, à maintes reprises. Et puis, une idée s’est formée dans ma tête» se souvient Sami Lamaa. A l’époque, le fils d’hôtelier avait déjà un restaurant. Mais l’idée de valoriser le bâtiment vide en hauteur devint de plus en plus concrète. Il décide donc de l’acquérir. Depuis 2010, on y mange bien de nouveau. «Tout commence par la bonne cuisine: les gens qui sont contents reviennent. Et, qui sait, prendront peut-être une chambre ou viendront en voyage de noces.» Son but primordial: gagner des habitués. Et offrir aux entreprises un cadre exclusif pour leurs ateliers de team building ou leurs séminaires.

Cuisine alpine qui réveille les souvenirs d’enfance

Les plats typiques de refuge n’existent pas au Chetzeron. La cuisine se classe plutôt au niveau gourmet. Sami Lamaa l’appelle «alpine». Il va chercher ses ingrédients en Suisse, en Italie, en France, aux Grisons et en Autriche, inspiration pour la chef de cuisine qui, elle, vient d’Argentine. «On adore les vieilles recettes qui rappellent l’enfance. Si tu arrives à réveiller les souvenirs d’enfance, tu toucheras le cœur des gens» dit Sami Lamaa. Des spécialités culinaires, il pourrait en parler pendant des heures. Le vin est plutôt l’affaire de sa sœur œnologue. «Je travaille sept jours sur sept, quinze heures par jour. Le verre de vin, je ne le bois qu’exceptionnellement.»

Pourtant, Sami Lamaa a toujours voulu aller plus loin que juste servir des repas. Il pensait à un hôtel, tout court. Le chemin pour l’obtenir semble plutôt kafkaïen, à commencer par les permis nécessaires. Mais il ne se perd pas dans la jungle bureaucratique et, finalement, réalise son idée: construire des chambres d’hôtel. Depuis trois ans, ses hôtes y passent aussi la nuit. Ambroise Bonvin, architecte du Valais, a conçu la maison nouvelle. «Je voulais évoquer l’esprit refuge, c’était très important. Le feeling qu’on a quand on entre dans un refuge de 10m2, étendu sur 5 000m2. C’était un challenge pour l’architecte» raconte Sami Lamaa.

«L’énergie ici est incroyable»

Ce qu’il n’aime pas ce sont les choses superflues. On le voit à sa morphologie mince. L’idée se reflète aussi à l’hôtel: par l’absence de tableaux sur les murs, de tiroirs dans les chevets, de musique au restaurant. Les chambres sont très bien rangées et pures et ne refroidissent jamais. Ceci grâce à un système de chauffage intelligent et à de grandes fenêtres triple-vitrage qui mettent les véritables vedettes en scène: les montagnes. Les sommets du Mont Blanc, le Cervin et les montagnes voisines sont tous visibles depuis le Chetzeron. Les fenêtres donnent sur un panorama qui rappelle une peinture. Un tableau sur le mur ne pourrait jamais être aussi beau. En baissant le regard, on voit la vallée du Rhône. «Un touriste a une fois comparé la vue à celle qu’on a d’un avion» dit Sami Lamaa. Un autre visiteur aurait médité dans l’encorbellement d’une salle de bain pendant quatre heures sans se lasser, raconte Lamaa. «L’énergie ici est incroyable. Les gens sensibles sont capables de la capter. Comme s’ils l’aspireraient du sol.» Pour faire tout correctement, Sami Lamaa a fait venir des moines de Chine pour le conseiller avant de construire les chambres. Qui serait mieux placé pour expliquer le Feng Shui?

Le bois des tables, des portes et des meubles en chêne provient de l’Oberland bernois. Les murs sont faits en pierre. Pour garantir que tout fonctionne comme prévu, Sami Lamaa a investi beaucoup d’argent dans l’infrastructure : l’énergie solaire pour l’eau chaude et des unités photovoltaïques le courant électrique. «L’hôte ne voit que 40% de nos investissements. Le reste est invisible et couvre l’IT, le refroidissement, les unités solaires et tous les autres systèmes.»

Quand le téléphérique s’arrête le soir, tout devient calme. Surtout en hiver lorsque la neige assourdit les bruits des alentours. Tout ce qu’on entend alors est l’autoneige qui va chercher les gens d’en bas et les ramène le soir après le repas. Son personnel redescend souvent en ski la nuit alors que Sami lui-même reste fréquemment en haut. Pour prendre l’air sur la terrasse généreuse avant de finir sa journée de 15 heures. A l’endroit auquel il voue toute son énergie – mais qui en apporte tout au moins autant.

Text: Martha Miklin // friendship.is
Photos: Heiko Mandl // friendship.is

4 avril 2018

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